En 1984, il publie L’insoutenable légèreté de l’être, le roman phare de sa carrière. / Photo : AFP.
Ecrivain incontournable pour comprendre les lumières et les ombres qui ont dévasté le XXe siècle, l’écrivain tchèque Milan Kundera, décédé mardi à l’âge de 94 ans à Paris, laisse une œuvre révélatrice qui a plongé dans les dilemmes existentiels d’une époque définie par la tension entre les conflits individuels et l’illusion d’une transformation collective, conflits qu’il a su capter et complexifier dans un corpus de romans comme L’insoutenable légèreté de l’être, La vie est ailleurs ou L’ignorance, dans lesquels il a rendu compte -avec sarcasme, mais aussi avec une cadence poétique- sur des questions telles que la sexualité, la maternité, le pardon, la moquerie ou l’amitié.
Il était le narrateur à la mode, l’auteur qui, il y a environ quatre décennies, devait lire au diapason des rebondissements de l’époque : la dictature, l’exil, le scepticisme humaniste, l’individualisme ironique contre l’arrogance d’une époque qui incitait à l’action collective. Egalement l’avancée de la contre-culture et la découverte de la sexualité comme nouvelle forme de communication intime entre les personnes.
Romancier, poète et dramaturge, Kundera était issu d’une famille éclairée et économiquement prolifique de la Tchécoslovaquie d’alors. Dans sa langue natale, le tchèque, à la fin des années 1960 et au début des années 1970, il écrit le premier des 13 romans qu’il publiera tout au long de sa vie, pour beaucoup le meilleur de sa production : Le Livre des amours ridicules (1968), un recueil d’histoires qui ont fini par être considérées comme un roman ; La vie est ailleurs (1972), où il se réinvente en tant qu’écrivain, ou L’adieu (1973), qu’il propose alors comme dernier roman et dont il veut intituler un épilogue.
Dans ses premières œuvres, cet humour émerge, entre l’absurde et l’ironie qui est devenu la marque de son auteur et qui lui a permis de faire coexister une prose poétique dans ces premières œuvres avec le sarcasme et une dévotion au canon socialiste qui au fil du temps est devenu progressivement désarmer en raison de ses désaccords avec le régime politique de son pays. En fait, déjà dans son premier roman, La Plaisanterie (1967), il ridiculise le régime communiste, transformant l’histoire en une critique subtile du totalitarisme et de son manque d’humour.
Le Parti communiste et l’écrivain étaient en tension permanente depuis des années, bien qu’en 1968, il ait remporté le prix de l’Union des écrivains tchécoslovaques. C’est qu’en raison de l’ancrage dans ses désaccords avec le régime, son œuvre s’est coagulée en récit politique. Et bien que Kundera lui-même ait insisté pour se distancier de cette catégorie, le label lui a apporté plusieurs conflits. Como la gran mayoría de los jóvenes de su país, después de la Segunda Guerra Mundial se había afiliado al partido, aunque fue expulsado en 1950. En 1956 fue readmitido, pero en 1970, dos años después de que sus libros fueran censurados, sería expulsado de nouveau. Enfin, cinq ans plus tard, il fait ses valises avec sa femme Vera et part pour la France. En 1981, il perd même sa nationalité tchèque, qu’il ne retrouvera qu’en 2019.
L’arrivée sur le territoire français ne fut pas aisée mais elle créa les conditions d’émergence de l’œuvre qui fera de lui le plus célèbre Ecrivain tchèque d’après Kafka. C’est en 1984 qu’il publie L’insoutenable légèreté de l’être, le roman phare de sa carrière dans lequel il aborde un sujet lié à sa génération : la tension entre l’individuel et le collectif, condensée dans l’histoire d’un médecin qui avant le printemps de Prague -le processus de protestation massive qui a eu lieu en Tchécoslovaquie en 1968 pour modérer les aspects totalitaires et bureaucratiques que le régime soviétique avait dans ce pays- essaie d’être heureux sans être affecté par l’environnement politique et historique, ni par l’engagement à les gens qui l’entourent.
Si la Révolution française devait se répéter indéfiniment, l’historiographie française serait moins fière de Robespierre. Mais puisqu’il parle de quelque chose qui ne se reproduira plus, les années sanglantes deviennent de simples mots, des théories, des discussions, elles deviennent plus légères qu’une plume, elles ne font pas peur, Kundera écrit dans les premières lignes de ce roman qu’il a été transformé en un film en 1987 de Philip Kaufman avec le titre du même nom et avec Daniel Day-Lewis et Juliette Binoche.
Il était le narrateur à la mode, l’auteur qui, il y a environ quatre décennies, devait lire pour être en phase les rebondissements du temps. / Photo : AFP.
Kundera a publié plus tard Slowness (1995), critiquant l’obsession de la civilisation occidentale pour la vitesse.C’est le premier d’un cycle de romans courts et sobres, écrits directement en français, tout un événement dans l’univers littéraire qui lui ouvre les portes de la scène internationale, mais lui vaut aussi ses premières critiques négatives. Vient ensuite La identidad (1998) et La ignorancia (2000), parallèlement à des essais comme Los testamentos betrayadas (1992), où il développe sa théorie sur ce que devrait être un roman moderne qui revient aux origines du genre.* 100017**100018 * Contrairement à la diffusion massive et publique de ses œuvres, l’écrivain était un homme frugal, un peu distant : il n’assistait pas aux événements publics et pendant des décennies il ne donna presque pas d’interviews. Je déteste participer à la vie politique, bien que la politique me fascine comme un spectacle. Un spectacle tragique et meurtrier dans l’empire d’Orient ; intellectuellement stérile, mais drôle en Occident, dit-il dans une de ces rares interviews, publiée par le New York Times en 1985.
Je dois vous avertir de mon mauvais caractère. Je suis incapable de parler de moi et de ma vie et des états de mon âme, je suis discrète à un degré presque pathologique et je n’y peux rien. Si cela vous est possible, j’aimerais parler de littérature, avait-il dit au journaliste avant d’accepter ce reportage. Kundera avait ses bases : Quand on ne peut pas se cacher du regard des autres, c’est l’enfer. Ceux qui ont vécu dans des pays totalitaires le savent. Ce système ne fait que révéler, comme une loupe, les tendances de toute la société moderne. La dévastation de la nature; le déclin de la pensée et de l’art ; bureaucratisation, dépersonnalisation ; manque de respect pour la vie personnelle. Rien n’est possible sans secret, ni amour ni amitié
Après le phénomène de L’insoutenable légèreté de l’être, Kundera retomba vers des récits plus philosophiques. Je ne vendrais plus jamais quoi dans les années 80, même si l’éclat ne s’est pas tout à fait estompé. En 2014, il vend à plus de 100 000 exemplaires en Italie ce qui sera son dernier roman, Le Festin de l’insignifiance, considéré comme mineur, bien qu’avec les thèmes typiques de l’écrivain : la maternité, la sexualité, l’oppression du pouvoir, l’absurde, l’ironie. .
La fiesta de la insignificancia, édité en Argentine par le label Tusquets, propose une brève intrigue chargée de double sens et d’humour, marquée sous le signe du nombril : l’expression érotique du corps de la femme et la représentation d’une époque traversée par l’égocentrisme et l’individualité. L’insignifiance, mon ami, est l’essence de l’existence. Il est avec nous partout et à tout moment, dit l’un des personnages qui, comme le reste des protagonistes créés par le Tchèque, ose mettre la tension par le rire, l’ironie et la parodie, mais aussi par la théorie, le minuscule et l’universel. sens de l’humanité.
L’écrivain a insisté à plusieurs reprises sur le fait que l’absurdité de ses livres parle d’amour et de sexe, pas de communisme, mais il a toujours été difficile de faire abstraction de la lecture politique de ses romans. Hors fiction, son identité politique subit des mutations et est remise en cause : ses détracteurs l’accusent d’avoir tourné le dos à ses compatriotes et dissidents après son départ pour la France et, en 2008, un magazine tchèque l’accuse d’avoir été un informateur sous le régime. communiste, ce que l’auteur nie catégoriquement. De purs mensonges, répondit-il.
Depuis l’exil, Kundera visita plusieurs fois son pays natal, mais toujours incognito. Il a choisi de ne pas retourner définitivement à Prague et est resté réfugié dans sa maison parisienne, où il a vécu loin de la vie sociale, pendant de nombreuses années. Au contraire, le romancier et sa femme se promenaient, seuls, pas toujours main dans la main, dans la périphérie du VIIe arrondissement de Paris. Il y est décédé mardi vers midi des suites d’une longue maladie, selon Anna Mrazova, porte-parole de la bibliothèque Milan Kundera, dans la ville tchèque de Brno.